Parmi cette foule d'hommes insensés... Incipit
Le bourdon fait son œuvre et vrille les tympans proches. Plusieurs nuits que je ne dors plus en l’attente.
Tels des draps étendus sur fils en nombre et battant au vent, les vagues se forment, avancent, viennent en grossir d’autres et s’éteignent, adminicules finis de l’infinie marée, agitées par les mains d’invisibles lavandières, d’un bout à l’autre de la baie.
Plage étale livre aux regards des badauds les filets des pêcheurs, moisson de livres aux pages gaufrées par l’onde. Une couverture attire mon regard, manuscrit hollandais aux tournures archaïques. Un homme implore les cieux demeurés silencieux, interdits devant son destin. Pas une femme à bord, morte ou vive, ni dans les filets. Les marins sont désolés. La neige ne cesse de tomber, rideau blanc disparaissant dans la mer, immense horizontale absorbe la verticale, feutre les pas humains, voix et la cloche dont le bourdon se perd dans l’atmosphère. Des coups sourds, métalliques heurtent une résonance de bois, planches assemblées, rabotées. Des particules portées par l’air humide parviennent jusqu’à moi, mon nez s’emplit de l’odeur de résineux, mêlée à celle de l’océan.
À l’horizon, aux confins de la baie, un étrange vaisseau, voiles serrées, cordages lovés, sa coque immaculée se reflète sur l’eau phosphorescente éclairée par la pleine lune. La neige a cessé et les coups de marteau. Les draps moites irritent ma nuque raide, le sommeil cette nuit encore me déserte. Je tourne et retourne le passé proche, envisageant à chaque articulation des possibles altérant l’événement, antienne au refrain d’impuissant si seulement.